Entre les murailles du Mont Blanc et les vignes accrochées aux pentes, la Vallée d’Aoste cultive un caractère bien trempé qui se respire autant qu’il se déguste. De la fontina qui file au Torrette qui réchauffe, chaque bouchée raconte la montagne, ses défis, ses fêtes et l’ingéniosité de femmes et d’hommes qui font vibrer ce couloir alpin. Avant de grimper en cuisine et de s’attabler chez Donna Mia, partons sentir la neige, le bois, le gras réconfortant et la fierté d’un terroir minuscule par la taille immense par le goût.
Une région d’altitude et de caractère
Entre Italie et Alpes
Coincée entre les parois abruptes du Mont-Blanc et les glaciers du Cervin, la Vallée d’Aoste est la plus petite région d’Italie, mais ses sommets tutoient le ciel. On pénètre dans ce couloir alpin comme dans un amphithéâtre de roches et de neiges éternelles. Les villages se cramponnent aux versants, les clochers veillent sur un ruban de vallées étroites où la lumière change d’une courbe à l’autre. À peine 450 hectares de vignes griffent des terrasses vertigineuses, tandis que les forêts de mélèzes abritent des chalets en pierres sèches. La montagne impose ses règles : l’espace se gagne, le soleil se partage, chaque mètre carré compte.
L’altitude dicte aussi le climat, rude l’hiver, franc l’été. Ici, tout s’organise pour affronter le froid : caves d’affinage creusées sous la maison, greniers à maïs suspendus, séchoirs pour les viandes. Cette contrainte a forgé un terroir précis, sans place pour le superflu. On y cultive la vigne à plus de 1 200 m, on y élève des vaches qui broutent une flore alpine parfumée, on y récolte encore le seigle et la châtaigne, bases discrètes mais solides d’une économie de montagne.

Une culture montagnarde forte
Le parler francoprovençal résonne encore sur les marchés d’Aoste et dans les alpages. Bilingue, la région mêle la rigueur piémontaise à une sensibilité savoyarde, comme en témoignent la Foire de Saint-Ours et les Batailles de Reines où les vaches Hérens s’affrontent pour la hiérarchie du troupeau. Le calendrier pastoral rythme les fêtes : montée des troupeaux au printemps, redescente à l’automne, chaque étape devient prétexte à partager un verre de Torrette ou un morceau de fromage affiné à la fraîcheur des tunnels.
Cette solidarité née de la pente se lit dans les coopératives viticoles, dans les artisans qui perpétuent la sculpture sur bois ou la dentelle, et jusque dans les refuges où l’on se serre autour du poêle. L’esprit de partage se retrouve sur les tables de Donna Mia où la convivialité valdôtaine inspire pizzas généreuses et sauces crémeuses. Loin du folklore carte postale, il s’agit d’une fierté vivante, entretenue par une nouvelle génération de chevriers, de vignerons et de chefs qui continuent d’écrire l’histoire culinaire de leur vallée sans jamais oublier la montagne qui les façonne.
Une cuisine robuste et réconfortante
Fromages fondus, charcuteries, vins rouges
Entre deux parois de granit, la cuisine valdôtaine mise sur la gourmandise des produits qui tiennent chaud. La Fontina DOP, pâte souple et beurrée, file dans la fondue locale et nappe les croûtons comme une couverture de laine. Côté plateau, le Lard d’Arnad AOP marie son gras parfumé à la cannelle avec le pain de seigle alors que le Jambon de Bosses, séché par les vents du col du Grand-Saint-Bernard, affiche des notes de genépi. On complète avec la Motzetta, ces fines tranches de bœuf ou de chamois fumées qui rappellent la viande des guides alpins.
Pour faire couler tout cela, les rouges de poche issus de la viticulture héroïque montent eux aussi en altitude. Un verre de Torrette ou d’Enfer d’Arvier (gamay, petit rouge, fumin) offre des fruits noirs croquants et une pointe d’herbes alpines. Plus à l’est, le Donnas décline le nebbiolo sur des terrasses vertigineuses face au Mont-Rose. Chaque gorgée réchauffe, accompagne le gras du fromage et prolonge la conversation au coin du feu.
Des plats d’hiver pleins de chaleur
Dans les maisons comme dans les refuges, l’hiver s’ouvre avec la fonduta à la fontina et aux jaunes d’œufs, servie fumante dans son caquelon. Vient ensuite la seupa à la vapelenentse, soupe d’origine paysanne où alternent couches de chou, pain rassis, bouillon et fromage : la cuillère y tient debout. Les soirs de neige, la polenta concia mêle farine de maïs rustique et fontina filante, parfois gratinée au feu de bois pour un goût de croûte irrésistible.
Les familles sortent aussi la carbonade, ragoût de bœuf longuement mijoté dans le vin rouge local, parfumé de clous de girofle et de laurier. Servie brûlante avec des châtaignes ou un écrasé de pommes de terre, elle raconte la patience du cuisinier et l’importance de la sauce, douce comme un manteau contre la bise. Cette cuisine ne cherche pas l’esbroufe. Elle parle d’altitude, de partage et de calories heureuses, celles qui permettent de repartir le lendemain sur les sentiers enneigés.

Un art de vivre alpin
Les refuges, la convivialité et les fêtes
Une lampe tempête vacille, la neige craque et la porte en bois massif s’ouvre : le refuge accueille, toujours. À 2 000 m, les tables sont longues, le poêle rougeoyant, la polenta concia frémit dans son chaudron. On se serre, on échange les histoires du sentier, on trempe le pain dans la fontuta filante du voisin. Dans ces maisons perchées, la chaleur n’est pas seulement dans l’assiette : elle vient du chœur improvisé de randonneurs, de guides, de familles qui ont décidé de partager le toit et le repas.
Quand le repas s’étire, la grolla tourne, parfumant le café de génépi et d’orange. On ferme les mobiles, on ouvre les carnets de chansons. La nuit peut être longue, mais personne ne presse le temps. L’aube arrive, rosissant les faces du Mont-Blanc, et l’on se quitte comme d’anciens amis, rassasiés de calories mais surtout de regards complices.
L’esprit de communauté se retrouve plus bas dans les vallées lors des grandes dates du calendrier valdôtain :
- Batailles de Reines, tournoi rustique où les vaches Hérens mesurent leur caractère sous les applaudissements.
- Foire de Saint-Ours, deux jours où 1 000 artisans exposent sculptures, objets en bois, cloches ou grolle gravées, le tout arrosé d’Enfer d’Arvier et de minestrone fumant.
- Montée et descente des troupeaux, fêtes d’alpage qui annoncent l’été puis l’automne, prétexte à griller la motzetta et à danser au son du violon.
Ici, fête et nourriture avancent main dans la main : l’une nourrit la mémoire, l’autre le corps, et il serait impoli de séparer les deux.
Une identité forte et fière
Coincés entre quatre géants alpins, les Valdôtains ont appris à lever la tête sans jamais baisser la garde. Leur langue se dédouble : italien à l’école, patois francoprovençal autour du feu. Cette dualité irrigue la culture locale, où la chanson à répondre côtoie le carnet de recettes, et où la devise de la région Vallée d’Aoste, Liberté, s’écrit fièrement sur les écus.
Le sentiment d’appartenance passe aussi par le goût. Chaque maison garde un coin de cave pour suspendre le Lard d’Arnad, ranger les meules de Fontina et aligner les bouteilles de Torrette. Le relief impose des rendements modestes et renforce la valeur du produit. Affiner, sécher, presser, rien n’est laissé au hasard : la montagne juge sévèrement la paresse.
Cette fierté se transmet sans folklore forcé. Un jeune vigneron poste ses vendanges acrobatiques sur les réseaux, une fromagère invite les enfants à tourner le lait caillé, un charpentier façonne la prochaine grolla des refuges. Chacun défend sa parcelle d’histoire, sûr que l’addition de ces gestes compose l’âme d’un territoire minuscule par la taille, immense par le caractère.
La Vallée d’Aoste chez Donna Mia
Des saveurs d’altitude et de générosité
Chez Donna Mia, la gourmandise valdôtaine commence à table dès l’arrivée d’une planche en bois encore tiède. Dessus, la Fontina DOP fond doucement à côté de fines tranches de lard d’Arnad, presque translucides, et d’éclats de Motzetta aux notes sauvages. Une première bouchée et l’on retrouve l’esprit des refuges : gras juste ce qu’il faut, sel maîtrisé, parfum de foin séché. La chaleur de la salle fait le reste, le fromage se détend, le jambon libère un arôme de noisette, la conversation s’anime.
La même générosité se retrouve dans les assiettes : la Pizza Tartufo arrive coiffée d’une neige de Fontina, la pâte fine retient un filet d’huile parfumée au génépi. Plus loin, une Polenta concia crémeuse est servie en cocotte individuelle, nappée d’un ragù de bœuf longuement confit qui rappelle la carbonade des vallées. Le service propose pour accompagner un rouge Torrette frais, « petits fruits et hauteur », qui allège la richesse du plat tout en prolongeant le goût de la montagne.

Une inspiration montagnarde raffinée
La cuisine alpine peut être délicate sans perdre son âme. La preuve se trouve dans les tagliatelle de châtaigne travaillées minute, nappées d’une crème légère de Fontina et ponctuées de copeaux de truffe noire. La douceur de la farine de châtaigne, le côté lacté du fromage, la pointe forestière du champignon : trois notes, un accord parfait. Même souci d’équilibre pour le Risotto blanc de Morgex, mouillé au vin Prié Blanc et terminé au beurre d’alpage, dont la minéralité réveille le gras.
Le dessert garde le fil conducteur : poires pochées au vin Enfer d’Arvier, mousse mascarpone au miel de rhododendron, éclats de sablé à la farine de seigle. Chaque élément évoque un versant différent sans alourdir l’ensemble. Un dernier verre de Petite Arvine cristallin et l’on mesure que la montagne, chez Donna Mia, sait se faire aérienne. La rusticité originelle s’y pare de finesse, fidèle à l’esprit convivial tout en offrant la précision qu’exige une table contemporaine.
La gastronomie valdôtaine prolonge les falaises et les glaciers jusque dans l’assiette, rappelant que chaque fromage, chaque verre de Torrette, porte la mémoire d’un territoire minuscule et fier. Quand la neige tombe ou que la ville s’agite, osera-t-on filer vers un refuge ou pousser la porte de Donna Mia pour vérifier si la montagne peut encore réchauffer la table ? L’histoire se poursuit, à chaque bouchée un vigneron perché tient tête aux pentes, à chaque gorgée une langue alpine trouve une voix nouvelle.
Petite leçon d’Italie
Anecdote : La Bataille de Reines.
Chaque automne, les vaches s’affrontent paisiblement pour élire la “reine des montagnes”. Après la victoire, tout le village se réunit autour de fondues, de polenta et de vin rouge. C’est une fête d’altitude, rustique et fière, où la montagne célèbre ses reines à quatre pattes.