À peine le col franchi, le Trentin dévoile ses Dolomites teintées de rose, ses vergers en terrasses et cet accent singulier où l’italien croise l’allemand. Dans cet écrin austère mais généreux, la table devient refuge, mariant speck fumé, fromages au caractère franc et verres de Teroldego qui sentent la résine. Le voyage commence ici, entre crêtes escarpées et assiettes réconfortantes, promesse d’un goût de montagne à la fois humble et audacieux.
Une région alpine unique
Les Dolomites et leurs vallées
Entre pics acérés et falaises laiteuses, les Dolomites dressent un décor quasi minéral. Le soir, la roche vire au rose et l’air s’emplit d’odeurs de foin fraîchement coupé. Les sentiers filent d’un alpage à l’autre, 7 000 kilomètres balisés qui mènent aux malghe où l’on affine le Puzzone di Moena et où l’on sert, sur des planches tièdes, un pain au seigle encore craquant. Sous ces remparts de pierre, les vallées s’évasent pour laisser place aux vergers et aux vignes : Val di Fassa, Val di Non, Val Venosta, autant de microclimats où le pommier tutoie la vigne de montagne.
La verticalité n’empêche pas la générosité. Les torrents nourrissent les truites tandis que les forêts livrent champignons et myrtilles en été. Quand arrive l’hiver, les refuges deviennent des phares. Un poêle à bois crépite, la neige couvre les pentes, et l’on comprend pourquoi la cuisine d’ici a toujours cherché la chaleur, les calories et le réconfort.

Une culture mêlant Italie et Autriche
Trente parle italien, Bolzano répond en allemand. Sur la même place, un cappuccino fumant côtoie un strudel à la vapeur, les clochers baroques saluent la silhouette d’une stube tyrolienne. Cette double identité fait du Trentin-Haut-Adige une charnière rare, un pont où s’échangent langues, rythmes et épices. Des carnavals latins aux processions austro-tyroliennes, chaque saison apporte sa fête, son costume, son accent.
À table, la rencontre se lit dans les recettes miroirs : polenta carbonera pour la partie italienne, canederli beurrés côté germanique, le tout arrosé d’un Teroldego fruité ou d’un Lagrein sombre. On partage la même passion des produits fumés, des fromages corsés, du pain recyclé en gnocchi ou en quenelles. Cette alchimie se retrouve jusque dans les adresses contemporaines, qu’il s’agisse d’une stube à 1 800 mètres ou d’une table citadine comme Donna Mia où la truffe, la pâte fine et les fromages d’alpage rappellent l’âme montagnarde qui court ici de sommet en sommet.
Une cuisine de caractère
Charcuteries fumées et fromages corsés
La star du plateau est sans conteste le speck Alto Adige IGP. Cuisse de porc salée au sel gemme, frottée au genièvre puis suspendue plusieurs mois dans l’air sec des Dolomites, elle capture la quintessence de la montagne : un parfum résineux, une texture souple, une pointe sucrée qui appelle une miche de pain de seigle. Dans le même esprit montagnard, la carne salada, fine tranche de bœuf crue longuement marinée, rejoint souvent quelques copeaux de Puzzone pour un contraste saisissant.
Ces viandes au fumet discret se marient aux fromages à fort tempérament : le Puzzone di Moena DOP et sa croûte lavée qui “pue” avec panache, le Vezzena des hauts plateaux au grain friable, ou encore le Trentingrana dont les 24 mois d’affinage concentrent la noisette et le foin sec. Un bout de polenta bien chaude, un trait de miel de montagne, et l’équilibre est trouvé. Les fermes d’alpage (malghe) servent ces associations dès la fin de la traite, dans une ambiance qui sent la sciure et le lait chaud.
Soupes, vins et schnaps
Quand les premières neiges recouvrent les cols, la cuisine se fait liquide et généreuse. Au menu : canederli en bouillon clair, soupe d’orge perlé et légumes racines, ou encore goulasch fumant relevé de paprika tyrolien. Chaque cuillère se veut nourrissante, presque réparatrice après une randonnée ou quelques pistes de ski de fond.
Côté cave, les rouges indigènes tiennent la barre. Teroldego Rotaliano aux fruits noirs, Lagrein au tempérament sauvage, ou la légère Schiava que l’on sert volontiers fraîche pour dompter le gras du speck. Les bulles TrentoDOC étirent la finale sur le fromage, tandis qu’en fin de repas la grappa du Trentin, distillée au bain-marie, libère des arômes de marc, d’herbes alpines et parfois de miel vieux. Appelée ici « schnaps », cette eau-de-vie chauffe les mains autant que le cœur et boucle un repas de montagne sans fioritures, juste avec caractère.
Un art de vivre montagnard
La chaleur des refuges et trattorie
Un bâti de pierre, des poutres sombres patinées par le temps, une grande table en pin qui rassemble voisins et randonneurs : le refuge de montagne donne corps à la notion de convivialité alpine. Le poêle ronronne, la vue découpe les Dolomites dans le ciel et, très vite, l’aubergiste fait circuler une première corbeille de pain de seigle encore tiède. Dans ces lieux accrochés à flanc de vallée, on cultive l’art d’accueillir sans manières, avec une générosité presque fraternelle. Un sourire, un « servus » pour les influences tyroliennes, un « prego » côté latin : la double identité du Trentin se sent avant même de s’asseoir.
La même chaleur se retrouve dans les trattorie de village. On y lit la carte écrite à la craie, on choisit un plat unique, on partage volontiers. Rien de figé : le menu suit le pas des saisons, le fromage arrive de la malga voisine, la polenta fume encore dans son chaudron de cuivre. L’addition reste sage, mais l’on repart riche d’histoires sur la dernière transhumance ou la récolte de pommes dans la Val di Non. Voilà tout le charme d’une table trentine : l’assiette nourrit, la parole réchauffe.

Les plats d’hiver généreux
L’hiver, lorsque la neige referme les cols, la cuisine se fait robuste et rassurante. La polenta, souvent mêlée de sarrasin sur les plateaux de Lavarone, arrive sans fioriture, escortée d’un ragoût de cerf nappé aux baies de montagne. Vient ensuite le smacafam, ce gratin de pâte à polenta alourdie de saucisse qui porte bien son nom : « écrase-faim ». Les canederli plongés quelques minutes dans un bouillon clair sortent gonflés comme des coussins, prêts à absorber la moindre fatigue d’une journée de ski de fond.
Les hauteurs aiment aussi les longues cuissons. La cuisse de chevreuil marie la douceur des myrtilles sauvages, le goulasch tyrolien mijote dans une cocotte de fonte, ses parfums de paprika se fondant avec le fumé discret du bois d’épicéa. En guise de dessert, une part de strudel bien beurré ou un morceau de zelten aux fruits secs accompagne le café serré. Pour sceller le repas, le geste est toujours le même : un petit verre de grappa, servi à la température de la salle, qui rappelle que dans ces montagnes on termine la journée comme on l’a commencée, le cœur réchauffé.
Le Trentin chez Donna Mia
Des saveurs d’altitude et d’authenticité
Chez Donna Mia, la montagne s’invite à table dès les premières bouchées. Le speck Alto Adige IGP, fumé à froid puis affiné dans l’air cristallin des Dolomites, arrive encore chargé des senteurs de sapin. Il côtoie un généreux copeau de Puzzone di Moena, fromage d’alpage à la pâte souple et au parfum franc. La douceur d’une polenta di Storo légèrement grillée équilibre l’ensemble, tandis que quelques lamelles de pomme de Val di Non rappellent la fraîcheur des vergers d’altitude.
Cette assiette raconte une philosophie simple : travailler ce que le Trentin offre de plus vrai, sans jamais fatiguer le produit. Les herbes sauvages, cueillies au printemps dans les prairies de Fassa, parfument un beurre noisette, la truite de torrents se présente délicatement fumée, et un filet de grappa artisanale réveille les papilles. La table devient alors un balcon sur les sommets.
Une inspiration rustique et raffinée
Le chef de Donna Mia aime jouer la partition alpine sur des formats familiers. La Pizza Tartufo marie crème de truffe, mozzarella fior di latte et éclats de Trentingrana 24 mois. Une fois sortie du four, elle reçoit quelques pétales de speck, ajoutés à cru pour conserver leur note fumée. Chaque bouchée oscille entre le boisé de la truffe et la salinité délicate du jambon de montagne.
Autre clin d’œil au Trentin, les pâtes Al Tartufo sont nappées d’une sauce où la truffe noire se fond dans un fond blanc monté au fromage Vezzena. Le plat est terminé par une pluie de poivre sauvage et un trait d’huile de pin mugo, souvenir des plateaux de Lavazè. Pour accompagner, la cave suggère un verre de Teroldego Rotaliano, rouge vibrant dont la fraîcheur minérale s’accorde parfaitement avec la richesse crémeuse du plat.
Rustique dans ses racines, raffinée dans ses détails, la cuisine du Trentin trouve chez Donna Mia un écrin chaleureux. Le voyage commence par la simplicité d’un produit d’alpage et s’achève dans l’élégance d’une assiette qui respecte la montagne sans jamais la dompter.
Du speck fumé à l’air vif des Dolomites jusqu’à la polenta soyeuse servie chez Donna Mia, le Trentin rappelle qu’une montagne peut parler deux langues et ne jamais taire son goût du partage. Reste une vraie question : la prochaine envie d’altitude vous mènera-t-elle aux sentiers des malghe ou à la table citadine qui distille ces saveurs d’alpage ? Chaque bouchée porte déjà l’écho des cloches dans la brume, prête à réchauffer bien au-delà des saisons.

Petite leçon d’Italie
Proverbe : “Chi ha pane non ha denti, chi ha denti non ha pane.” (“Ceux qui ont du pain n’ont pas de dents, ceux qui ont des dents n’ont pas de pain.”)
Dans les vallées alpines, ce dicton rappelle la gratitude envers les plaisirs simples. Les montagnards du Trentin savent que le pain partagé vaut plus qu’un festin solitaire. Une sagesse de refuge : savourer ce que l’on a, tant qu’on le peut, et toujours le partager.