Entre deux éclats de mer turquoise et un ciel qui sent l’origan, les Pouilles déroulent un théâtre de falaises, d’oliviers millénaires et de tables où l’on trempe encore le pain dans le broc d’huile. Ce bout d’Italie, discret mais fièrement paysan, réconcilie l’appétit des voyageurs avec le geste simple des nonne qui pincent les orecchiette au coin des ruelles. De Bari au cap de Leuca, la route se lit à la couleur d’un verre de primitivo et aux fumets d’une tiella qui gratine, un voyage solaire que l’on prolonge chez Donna Mia pour garder sur la langue la douceur du Sud.
Une région baignée de lumière
Le talon de la botte et ses paysages côtiers
Des falaises crayeuses de Polignano a Mare au sable blond de Porto Selvaggio, le littoral pugliese déroule près de 800 kilomètres d’écume et de rochers. Au nord, le Gargano dresse ses pins maritimes au-dessus d’une mer cobalt, tandis que les barques de Vieste rentrent chargées de mulets et de grondins promis à la « zuppa di pesce ». Plus bas, la Valle d’Itria ouvre un amphithéâtre de calcaire et de criques ourlées de grottes marines. À l’extrême sud, Santa Maria di Leuca signe l’étreinte de l’Adriatique et de la Ionienne, un bout du monde baigné de reflets corail quand le soleil se couche.
Sur la côte, la lumière joue les passeurs. À midi, elle fait vibrer les façades blanchies à la chaux, le soir elle dore les filets étendus sur les quais et invite à un apéro sur un gozzo qui tangue doucement. Le vent tiède du Salento, « lu sule, lu mare, lu jentu », prolonge la baignade jusqu’à l’automne : un climat complice des tables de bord de mer où le poulpe encore fumant côtoie la frisa ramollie dans l’eau salée.

Une terre d’oliviers et de savoir-faire
Loin du ressac, un autre océan s’étend : trois cent millions d’oliviers, certains plurimillénaires, sculptés par le temps entre Ostuni et Fasano. Chaque automne, la récolte se fait encore à la main, le pressage dans un frantoio hypogéen, et jaillit une huile verte et poivrée qui compte pour près de 40 % de la production italienne. Dans les mêmes champs respirent le blé dur Senatore Cappelli, les tomates fiaschetto, les raisins de Primitivo ou de Negroamaro, un inventaire modeste devenu trésor national.
La transmission est un art quotidien. Sous les voûtes d’une masseria, la nonna façonne les orecchiette tandis que les jeunes vignerons testent la macération en amphore. Dans chaque filet d’huile dégusté sur place comme dans la burrata relevée d’un pesto servie chez Donna Mia, le goût raconte le même geste franc : travailler la matière sans la dénaturer. Tradition et innovation avancent main dans la main, en cadence avec la pizzica qui résonne les soirs d’été entre les murets de pierre sèche et les silhouettes coniques des trulli.
Les trésors de la table des Pouilles
Burrata, stracciatella, huile d’olive
À Andria, entre champs de blé dur et oliveraies, les maîtres casari façonnent chaque matin la burrata IGP. Une fine enveloppe de mozzarella encore tiède, un cœur coulant de stracciatella mêlé de crème, un nœud refermé d’un geste vif : le fromage respire la fraîcheur du jour même. Servie à température ambiante, elle laisse perler un léger lait sucré qui s’accorde à merveille avec une poignée de tomates fiaschetto et quelques feuilles de rucola.
Autour, les oliviers monumentaux dictent le rythme. Le “massaro” veille sur des troncs parfois millénaires dont on extrait un “oro verde” reconnu dans tout le pays. Les Pouilles fournissent près de quatre bouteilles d’huile d’olive sur dix produites en Italie. Dans les anciens frantoi hypogei, les meules de pierre tournent lentement, sans chauffer la pâte. Le résultat ? Une huile dense, couleur feuille d’artichaut, fruitée avec une pointe d’amertume qui réveille le moindre morceau de pain.
La rencontre entre cette huile et la burrata est un rite tout simple : un filet d’or sur la blancheur crémeuse, une pincée de fleur de sel, et l’on goûte la Méditerranée pure, sans artifice.
Des recettes simples et généreuses
La table pugliese suit la logique de la cucina povera : peu d’ingrédients, tous d’une qualité irréprochable, beaucoup de cœur. Sur le littoral, la tiella riso patate cozze aligne en couches riz, pommes de terre, moules et persil, le tout arrosé de bouillon et d’huile d’olive avant de griller au four. À Bari, la focaccia à la tomate se déguste brûlante dans la rue, tandis que les panzerotti gonflent comme de petits coussins dorés.
À l’intérieur des terres, on écrase la fève sèche cuite longuement jusqu’à la transformer en velours, que l’on sert avec des cicorie sauvages légèrement amères. Dans la Valle d’Itria, les bouchers préparent les bombette : involtini de porc farcis de caciocavallo et d’herbes, cuits à la braise devant la boutique. Rien n’est compliqué, tout est savoureux, pensé pour être partagé autour d’une table bruyante où la pizzica résonne.
Ce goût de générosité se retrouve jusque sur la plage : une tranche de frisa trempée quelques secondes dans l’eau de mer, un filet d’huile, des tomates écrasées à la fourchette, une cuillerée de stracciatella, et le soleil fait le reste. La cuisine des Pouilles ne cherche pas l’effet, elle cherche le sourire de celui qui mange.

Une culture de la convivialité
La cuisine comme lien familial
Dans les villages des Pouilles, le repas reste un rendez-vous quotidien où chaque génération trouve sa place. Sur la grande table en bois, la nonna roule d’un geste sûr les petites orecchiette pendant que les enfants alignent les tomates séchées, le nonno verse l’huile d’olive nouvelle dans une carafe et les cousins allument le four à bois du jardin. Le midi s’étire, la conversation aussi, rythmée par le cliquetis des fourchettes et le chant d’une pizzica qui sort d’une radio posée sur le rebord de la fenêtre.
Ces moments, que les Pugliesi appellent tout simplement le pranzo della domenica, reposent sur quelques rituels immuables :
- partager le même plat, souvent cuit dans un unique plat en terre cuite ;
- honorer le travail du massaro, le fermier local qui livre le pain, la ricotta ou les légumes du jour ;
- laisser le temps faire son œuvre, entre un antipasto de frisa et une dernière tranche de pasticciotto encore tiède.
Une authenticité préservée
La convivialité ne s’arrête pas aux portes des maisons. Dès la belle saison, les ruelles blanchies à la chaux se transforment en salles à manger à ciel ouvert pour les sagre. Chaque fête célèbre un produit unique : figue de San Michele grillée sur braise d’amandier, oursin de Porto Cesareo dégusté debout face à la mer, oignon rouge d’Acquaviva confit dans le vin. Ces manifestations populaires maintiennent un lien fort entre le terroir et ceux qui le font vivre.
Au delà du folklore, un souci d’authenticité guide les cuisiniers. Cuisson lente « alla pignata » dans la cheminée, récupérations d’eaux pluviales dans les masserie, menus à zéro kilomètre dictés par la récolte du jour : la modernité s’installe mais ne masque jamais l’âme paysanne. Cette fidélité au geste originel explique sans doute pourquoi, même dans les adresses étoilées, un simple filet d’huile sur une tranche de pain suffit à rappeler l’essence des Pouilles : la beauté d’un produit nu, partagé sans façon.
Les Pouilles chez Donna Mia
La fraîcheur et la douceur du Sud
Chez Donna Mia, le premier contact avec les Pouilles passe par le crémeux d’une burrata à peine fendue. La stracciatella coule, adoucie par un filet d’huile d’olive des collines d’Ostuni, relevée d’un pesto alla genovese maison et de tomates cerises éclatantes. La fraîcheur domine, comme lorsque le vent du large fait frissonner les oliviers : pas de technique tapageuse, seulement le goût pur des produits.
Dans l’assiette, la texture onctueuse de la burrata répond à la vivacité de petites herbes du jardin et à quelques tomates séchées cueillies l’été dernier. On retrouve la même simplicité désarmante dans un carpaccio de poulpe, dans une salade de farro parfumée au citron, ou encore dans une bruschetta que l’huile finit de dorer. Chaque bouchée rappelle la douceur des fins de journée sur la côte ionienne, quand la mer garde la chaleur accumulée par les rochers blancs.

Une inspiration solaire et méditerranéenne
L’âme pugliese se faufile dans les détails : pain légèrement grillé puis frotté à l’ail, feuilles de basilic froissées à la dernière minute, pincée d’origan sauvage qui évoque les murs à chaux de Locorotondo. La cuisine de Donna Mia s’inspire de cette lumière franche qui fait rosir les figues et mûrir les Negroamaro, pour servir des plats où la matière première reste reine.
Huile verte tirée le matin même, orecchiette roulées à la main, anchois marinés vingt-quatre heures, câpres de salina, zeste de citron confit : ces gestes racontent un Sud artisanal, tourné vers la mer autant que vers la terre. Le service, lui, suit le rythme détendu des repas de masseria : grandes assiettes à partager, verres qui se remplissent sans cérémonie, chaleur humaine qui prolonge la soirée. Un soleil intérieur qui, chez Donna Mia, ne se couche jamais vraiment.
Entre mer cobalt et champs d’oliviers noueux, les Pouilles rappellent que la vraie richesse se savoure dans une cuisine franche, généreuse, partagée. Goûter une burrata encore tiède ou une frisa parfumée chez Donna Mia revient à saluer le travail patient de tout un territoire lumineux. Et si, dès demain, nous inscrivions à nos carnets ces tables et ces producteurs qui transforment chaque repas en acte de gratitude ?
Petite leçon d’Italie
Anecdote : Les mains qui façonnent les orecchiette.
Dans la vallée d’Itria, les grand-mères sculptent les orecchiette à la main, un doigt après l’autre, sur des planches de bois. Chaque geste raconte un siècle de tradition. Ces “petites oreilles” recueillent la sauce tomate comme une histoire transmise de mère en fille.