Entre montagnes crayeuses et éclat d’Adriatique, le Molise file sous les radars mais fait chavirer les assiettes, cavatelli au creux de la main et parfum de truffe en bandoulière. Ici, l’agneau du matin répond aux palourdes du soir, la grand-mère pèse la farine à l’œil et les tratturi mènent le gourmet du piémont à la mer. Tour d’horizon d’une petite région qui parle bas mais cuisine fort, et qui a trouvé chez Donna Mia un relais tout aussi généreux.
Une région méconnue et préservée
Entre Adriatique et Apennins
Sous le vent des Apennins, les sommets dépassent rarement les 1 700 mètres, mais ils cernent presque partout l’horizon. À l’est, un mince ruban de 35 kilomètres de plages, de falaises et de petits ports : c’est toute la côte molisienne. Ce contraste fulgurant forge une dualité précieuse : brebis sur les alpages à l’aube, palourdes dans les filets des pêcheurs de Termoli le soir. Sur à peine 4 400 kilomètres carrés, le Molise conserve plus de 1 000 kilomètres de « tratturi », ces larges pistes herbeuses que les bergers empruntaient pour la transhumance. Aujourd’hui encore, elles tracent de véritables itinéraires gourmands entre fromageries de montagne et tables maritimes.
La faible densité de population, un peu plus de 60 habitants au kilomètre carré, épargne à la région les grands axes touristiques. Résultat : villages perchés figés dans la pierre, champs de céréales anciens, oliveraies centenaires, criques où l’on entend seulement le clapotis de l’Adriatique. Le Molise ne se visite pas à toute vitesse : il se savoure, comme une pause hors du temps entre mer et montagne.

Une Italie restée authentique
« Molise non esiste » disent encore les Italiens pour plaisanter. Cette absence des radars est devenue une chance. Ici, la cuisine pauvre se décline sans folklore, simplement parce qu’elle fait toujours partie de la vie quotidienne : potager derrière la maison, cochon familial, pain cuit au four à bois le dimanche. Dans les trattorie, un bavoir pour le brodetto, un verre de Tintilia un peu rugueux, un sourire franc : la convivialité n’est pas mise en scène, elle coule de source. Les circuits courts ne relèvent pas d’une tendance, ils préexistaient aux labels.
Ce goût du vrai séduit les gourmets en quête de souvenirs sincères. Les mêmes valeurs irriguent les assiettes de Donna Mia, dont les pâtes façonnées à la main rappellent le geste ancestral des nonne molisiennes. De la montagne à la mer, la région cultive un rapport charnel au terroir, sans décor de carte postale, juste la vérité d’une Italie qui persiste à vivre à hauteur d’homme.
Les spécialités molisiennes
Pâtes rustiques, fromages et charcuteries
Dans les cuisines molisiennes, la planche en bois reste la reine. Elle accueille les cavatelli et les fusilli, deux pâtes façonnées à la main, eau et farine seulement, dont la rugosité retient les sauces de ragù d’agneau ou de haricots. Les nonne roulent encore la pâte avec trois doigts ou un fin tige de fer : un geste répété depuis les grandes transhumances, quand il fallait un repas nourrissant, peu coûteux et surtout partageable.
Côté lait, le maître incontesté se nomme caciocavallo di Agnone. Suspendu en paire dans les greniers, ce fromage à pâte filée développe, après douze mois, des notes de noisette et un léger piquant. Viennent ensuite la scamorza fumée, la crémeuse stracciata qui se déchire à la fourchette, ou encore le burrino, cœur de beurre enfermé sous une robe de fromage, trésor des paniers de bergers. Ensemble, ils représentent déjà plus d’un tiers de la production laitière ovine et caprine de la région.
Le porc se décline en charcuteries au tempérament affirmé : pampanella rôtie au piment doux, ventricina généreuse en paprika, soppressata dense et poivrée, ou encore la mystérieuse signora di Conca Casale, saucisse imposante garnie d’épices et de morceaux nobles. Dans les trattorie, un plateau d’antipasti misti permet de mesurer en un clin d’œil la richesse de cet art de salaison.

Des produits montagnards de caractère
La montagne molisienne respire la forêt, l’herbe rase et la pierre. Dans ces zones à plus de mille mètres, les chiens truffiers mènent la danse. L’Alto Molise livre près de 40 % de la truffe italienne : noire l’été et l’hiver, blanche et parfumée autour d’Isernia. Cette manne garde encore un parfum d’aventure, loin des circuits touristiques saturés.
Le plateau de Capracotta alimente les marchés en pecorino rustique, en lentilles fines qui se tiennent à la cuisson, et en miel de châtaignier à l’amertume raffinée. Plus au sud, les oliveraies de Venafro donnent une huile fruitée labellisée DOP. À table, un filet de cette huile sur une tranche de caciocavallo chaud, un verre de Tintilia servi à la bonne température, et le caractère montagnard du Molise s’exprime sans détour.
Un patrimoine culinaire transmis
Les fêtes, les marchés et les traditions rurales
Du printemps à l’automne, le Molise palpite au rythme des foires paysannes. Les cloches de transhumance résonnent encore quand les troupeaux rejoignent les tratturi, ces larges rubans d’herbe devenus chemins de marché. À Campobasso, le vendredi matin, les fromagers d’Agnone côtoient les apiculteurs de l’Alto Molise. Un stand fume de pampanella, l’autre embaume le miel de châtaignier, et l’on négocie au poids comme autrefois, avec un sourire et une poignée de main.
L’été voit fleurir les grandes fêtes de village. Le 2 août, San Martino in Pensilis se couvre d’arômes de porc rôti et de paprika, servis dans le papier huilé de la sagra della pampanella. En septembre, les vendanges de Tintilia appellent les volontaires : panier en osier, casse-croûte à l’ombre des ceps, puis bal populaire sur la place. Octobre, enfin, rime avec châtaignes braisées à Vastogirardi et marchés aux truffes à San Pietro Avellana. Chaque rendez-vous inscrit un produit dans la mémoire collective, et rappelle que dans ces montagnes la fête commence toujours à table.
Une cuisine d’émotion
Ici, la recette se transmet plus souvent à voix basse qu’en livres de chef. Une grand-mère plonge trois doigts dans la farine, jauge la pluie du jour, ajoute un soupçon d’eau pour façonner les cavatelli. Un berger goûte le lait encore tiède avant de filer son caciocavallo. L’émotion naît de gestes millimétrés, affinés par la nécessité, exaltés par la patience.
Cette cuisine parle d’attachement. Le cuivre patiné de la marmite où mijote sagne e fagioli, le bol d’eau de cuisson bu comme un bouillon baptisé scattone, le bavoir demandé pour savourer un brodetto à Termoli : autant de petites liturgies qui lient la famille, les voisins, le visiteur de passage. Rien n’est décoratif, tout a un sens, de la mie rassisée transformée en chapelure croquante jusqu’aux abats grillés sur un bâtonnet de la torcinelli. Dans ce territoire discret, chaque bouchée raconte la dignité d’une terre qui ne jette rien et qui partage tout.
Le Molise chez Donna Mia
Un hommage à la simplicité italienne
Chez Donna Mia, la cuisine du Molise ne cherche pas l’effet waouh, elle revendique la vérité d’un terroir qui a toujours vécu en autosuffisance. Les cavatelli sont roulés chaque matin sur un vieux plateau de hêtre, un geste hérité des bergères des Apennins. Farine, eau, un filet d’huile, rien de plus. La sauce mijote doucement avec quelques herbes sauvages, des dés de tomates charnues et l’incontournable caciocavallo râpé au dernier moment. Cette frugalité assumée libère les saveurs primaires et rappelle que la grande cuisine italienne naît souvent du dépouillement.
La maison cultive également le goût du temps long. Les charcuteries, sélectionnées chez un artisan de Campobasso, arrivent entières puis sèchent au-dessus du four à bois. Le gras fond, les parfums se concentrent. Une tranche fine de ventricina, un pain encore chaud, cela suffit pour comprendre le credo du chef : laisser parler le produit, servir la convivialité.

Des plats vrais et chaleureux
Au menu, la générosité règne. Le ragù d’agneau, saucisse et veau nappe des fusilli torsadés à la main ; la viande, confite trois heures, se mêle au jus de cuisson épicé comme dans les fermes de la haute vallée du Biferno. Arrive ensuite la scamorza alla piastra, fumée juste ce qu’il faut, escortée d’un filet de miel de châtaignier et de quelques pousses amères cueillies autour de Venafro : un jeu de contrastes qui réchauffe autant le palais que le cœur.
Le service se fait en plats à partager, à l’italienne. Le serveur pose la cocotte au centre de la table, apporte un pichet de Tintilia rubis, glisse un bavoir à qui attaque le jus tomate du ragù. On discute, on râcle le fond avec un morceau de croûte, on lève son verre à cette région discrète mais fière. Chez Donna Mia, le Molise n’est plus un secret, il devient un moment passé ensemble, tout simplement.
Du cavatelli roulé sur une planche de hêtre aux parfums iodés du brodetto, le Molise rappelle que la vraie cuisine italienne naît de gestes simples, d’un terroir intact et d’une convivialité sans apprêt. Qui dira encore « Molise non esiste » quand cette mosaïque de montagnes, de plages et de tratturi aura trouvé le chemin de nos assiettes. Et si la prochaine révolution gourmande se jouait justement dans ces 4 400 kilomètres carrés discrets, à défendre dès maintenant en réservant une table chez Donna Mia ou en glissant un morceau de caciocavallo dans son panier ?
Petite leçon d’Italie
Fête : Le Festival della Pezzata, à Capracotta.
Chaque été, les habitants montent sur les hauteurs pour partager un grand ragoût d’agneau cuit dans des marmites de fonte. La montagne devient un banquet. Chacun apporte du pain, du vin, un peu de musique et tout le monde redescend le cœur chaud.